« Les solutions d’hier, consistant à construire des lignes supplémentaires, ne sont plus toujours adaptées »
Tribune dans le Monde Idées du 06/03/2017 de François Brottes Président du directoire de RTE.
Transport des énergies renouvelables: « L’innovation est l’un des piliers de la sécurité électrique »
Le monde énergétique vit une profonde mutation. Le système électrique connaîtra plus de changements dans les cinq ans à venir qu’au cours des cinquante dernières années. Les usages de l’électricité, avec les voitures électriques, les routes solaires, les « smart-cities », vont se multiplier. De nouveaux comportements électriques, comme l’autoconsommation ou l’autoproduction, se développent.
Eviter le black-out
Les territoires deviennent prescripteurs de politiques énergétiques. Hier circonscrit à une poignée d’entreprises, le système électrique s’ouvre à une multitude d’acteurs. Ces transformations posent des défis cruciaux au réseau de transport d’électricité (RTE), dont l’une des missions est d’équilibrer en temps réel, seconde après seconde, la production et la consommation, afin d’éviter le black-out.
Le développement des énergies renouvelables (ENR) modifie aussi cet équilibre. Grâce à la transition énergétique, les ENR représentent désormais 35% des capacités de production installées en France. Par définition intermittentes, ces énergies génèrent des pics de production que nous devons pouvoir accueillir pour permettre à la société de bénéficier d’une électricité décarbonée à moindre coût.
Mais les solutions d’hier, consistant à construire des lignes supplémentaires, ne sont plus toujours adaptées. Elles ne répondent pas au rythme de développement de ces nouveaux moyens de production et courent le risque de devenir caduques dans un monde où il est de plus en plus difficile d’anticiper le comportement d’acteurs qui souhaitent produire, mieux consommer ou stocker de l’électricité.
Des solutions innovantes
En France, en Europe, il nous faut prendre la mesure de ces changements et trouver des solutions innovantes, évolutives, pour être en phase avec ce nouveau rythme. Les technologies du numérique sont un formidable levier qui transforme la gestion, le développement et l’exploitation du réseau.
La capacité à collecter des données en temps réel, à transmettre et à traiter des volumes importants de données, nous permet de tirer le meilleur parti des infrastructures existantes et de proposer de nouvelles façons d’accomplir nos missions, à l’image de la création par RTE des premières lignes électriques virtuelles, permettant d’absorber des pics ponctuels de production.
Des capteurs de vent, en cours de déploiement sur les lignes à très haute tension, permettent depuis le 16 février de mesurer le refroidissement opéré par le vent sur une ligne et d’intégrer ainsi jusqu’à 30% d’énergie supplémentaire, à infrastructure égale ! Demain, avec ces nouvelles technologies, 1 million de données devront être traitées en temps réel.
L’exploitation des données permettra plus de fiabilité, plus d’efficacité, pour un meilleur service rendu à la collectivité et donc plus de compétitivité.
Menace sur la souveraineté énergétique des Etats
Cette capacité à innover, à proposer un nouveau système, nous la devons à notre modèle unique en Europe, qui nous permet d’optimiser les synergies entre maintenance du réseau et conduite des flux d’électricité, un modèle fort d’une recherche et développement puissante. Elle se nourrit de la richesse de notre écosystème : startups, clients, fournisseurs, ONG, territoires. L’innovation est l’un des piliers de la sécurité électrique.
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L’idée actuelle de créer quelques supers gestionnaires des réseaux de transport européens fragilise les politiques d’innovation. La circulation des électrons sur une région aussi vaste que celle allant du Portugal à la Pologne ne peut pas être gérée depuis Bruxelles. Ce choix ouvrirait la voie au démantèlement des gestionnaires de réseaux de transport nationaux tels qu’ils existent aujourd’hui et amènerait les Etats à perdre leur souveraineté énergétique.
Sans le pilotage des flux électriques, et avec une mission limitée à la maintenance des infrastructures, l’innovation n’aurait plus de pertinence économique pour un gestionnaire.
L’avenir du transport d’électricité, c’est la gestion du réseau à « 360° ». Elle garantit l’optimisation de la maintenance et de l’exploitation, par la gestion (à sa main) de l’infrastructure. C’est la meilleure solution, dans l’intérêt des clients et d’un tarif raisonnable de l’électricité en France et en Europe.
Un réseau innovant, toujours plus intelligent, est la clé de la réussite de la transition énergétique.